samedi 25 février 2012

Mon chemin vers l'Islam


Avant d’aborder les dissensions actuelles sur « Charia or not Charia », je tenais à témoigner de ma propre approche de l’Islam si éloigné des clichés réducteurs occidentaux et tellement éloigné des réalités du monde arabe. Je m’excuse d’avance pour la longueur de ce parcours, pour ceux qui auront la patience de lire ce texte jusqu’au bout, j’aimerais sincèrement pouvoir discuter et échanger sur ce qu’est pour vous votre Islam par rapport à mon Islam, et tant mieux si c’est notre Islam.
Venant de France et issu d’une famille chrétienne pratiquante, la religion a toujours été intégrée, dès mon plus jeune âge, dans les valeurs que l’on a pu m’inculquer. Des valeurs essentielles de tolérance, de respect de l’autre, d’amour de son prochain. J’ai commencé le catéchisme à l’époque du collège, j’accompagnais ma famille à la messe du dimanche, plutôt par obligation familiale que pour y apprendre quoi que ce soit, tentant au mieux de reproduire les rituels et gestuels de ceux qui occupaient les bancs de l’église. La bible m’était expliquée lors des cours de catéchisme. En résumé, un enseignement adapté à l’âge des enfants, porté essentiellement sur l’importance des bonnes et mauvaises actions, dont il fallait s’excuser dans nos prières.
La prière, fût le plus bel enseignement que j’ai reçu. Je me souviendrais toujours de ce prêtre qui m’avait dit : « Peu importe où, quand et comment tu pries, l’essentiel est d’être sincère quand tu t’adresses à Dieu ; regrette réellement tes fautes, pardonne à ceux qui t’ont fait du mal et prie pour les autres, jamais pour toi ; et si tu fais du bien autour de toi, les autres prieront aussi pour toi. ». Cet enseignement empli de sagesse, restera gravé dans ma mémoire tout au long de ma vie.
Mais à ce stade de ma vie et de ma culture religieuse naissante, les « autres religions » étaient totalement inconnues pour moi ou réellement totalement floues. Dans ce flou, les juifs, étaient pour moi des gens qui avaient tués Jésus refusant « notre religion » ; les musulmans, peu de choses, ils croyaient un dieu nommé « Allah » que je n’assimilai pas du tout à « notre » Dieu, l’image de l’Islam s’apparentait plus à un barbu au regard sombre, image véhiculée par le petit écran..
A l’adolescence, âge de la remise en cause de toutes les valeurs, et plus précisément au lycée, la rencontre avec un élève de ma classe Ahmed. Nous échangeons beaucoup, il me parle de sa religion, mon côté curieux me pousse à m’y intéresser. Pourtant je n’y a vois toujours pas de lien entre son dieu et le mien, lui à son livre, le coran, incompréhensible, je le vois plus à l’époque comme un recueil de poésie. Moi je relis la bible, l’ancien testament est totalement hermétique pour moi, des récits guerriers.. Le nouveau testament, les évangiles sont beaucoup plus parlant pour moi, la vie de Jésus racontée par ses apôtres.
Les années passent, je ne vais plus depuis longtemps à l’église, qui ne m’apporte rien, je prie tous les soirs, parfois dans la journée comme me l’avait enseigné ce prêtre des années avant, mais surtout j’essaie de me concentrer sur « les bonnes actions ». L’avis des autres m’importe peu, voir pas du tout, je discute et partage des repas avec des SDF, j’essaye de concilier des personnes en conflit et tente à ma façon et à mon humble niveau de donner un peu de bonheur autour de moi.
A cette époque je suis donc croyant, je crois en un Dieu créateur qui nous recommande le bien, qui condamne le mal. Dieu est dans mon cœur mais je n’en parle jamais, n’évoque jamais son nom, je ne dois de comptes à personne sauf à lui sur mes actes.
Il y a 10 ans maintenant, mon parcours professionnel me fait atterrir en Tunisie.  Très grand choc culturel pour moi, mais surtout religieux. Non pas dans une pratique ostensible, mais dans le verbal. Allah est utilisé dans toutes les discussions, je suis tout d’abord étonné, intrigué puis finalement curieux de savoir ce qui poussait la plupart des gens que je côtoyais à évoquer Allah pour chacune de leurs actions quotidiennes. Moi qui venait de France, ou la croyance n’était que rarement un sujet de discussion.
Je décide à l’époque de me renseigner sur cette religion étrangère et sur Allah. Une visite des plus anodines à Tozeur au parc ChakWak enflamme l’étincelle de ma curiosité : y est représenté l’arbre des religions, l’histoire des prophètes qui se rejoignent sur ce Dieu unique : Yahvé, Dieu, Allah quelque soit sa dénomination.
A mon retour, je me plonge dans la lecture du Coran (une édition traduite en français achetée à la Médina), je profite d’un long weekend end pour lire, lire, lire.. Je dévore les pages, je lis et relis surtout les versets relatifs aux chrétiens. Peu à peu, je trouve réponse aux questions qui m’ont toujours « intrigué » en tant que Chrétien, je comprends comment les hommes bien après la mort de Jésus ont transformé le sens du fils « spirituel » de Dieu en Fils de Dieu. Je comprends comment les juifs ont détourné les paroles de Dieu de la Torah pour créer le Talmud, je comprends que Dieu est bien le grand architecte de cette religion qu’il parachève avec le Coran transmis via son messager Mohamed. Je comprends que nous sommes tous Muslim, nous sommes tous musulmans, nous sommes tous croyants (juifs, chrétiens et « musulmans »), nous faisons tous partie d’une grande famille, nous sommes tous les enfants de Dieu.  Je comprends que la fierté des hommes a toujours empêché cette Ouma, chaque peuple s’arrêtant à vénérer son prophète.
Ce fut une révélation pour moi, il me fût alors indispensable de relire la Torah, puis la Bible pour comprendre l’ensemble de l’œuvre que Dieu nous a laissé. Après des nuits de lecture, d’annotations, tout s’est éclairé pour moi, la Torah est la loi, Jésus le modèle de pratique, Le Coran la clé de voute et le testament pour toutes les générations futures. Chaque croyant avait donc tout ce dont il pouvait espérer pour discerner le bien du mal, le modèle de pratique et les dernières recommandations pour que ces valeurs traversent les générations. J’avais l’impression d’avoir découvert la voie, ma voie.
Ma première réaction fut de savoir si moi, à titre personnel, j’étais éloigné de cette voie.. personnellement je me suis positionné comme un croyant « moyen », j’évite le mal, j’essaye de faire du bien, je donne aux pauvres, je m’incline et prie Dieu, à ma façon certes mais dans le Livre (Torah, Evangile, Coran), Dieu ne nous détaille pas la prière, ce qui pour moi ne doit donc pas être d’une importance capitale, l’essentiel est le fond, la profondeur de la prière, la forme importe peu..D’ailleurs, Dieu lui-même tourne en dérision ces hommes qui enchainent des gestes frénétiques dans les synagogues alors que leur âme est détournée de Dieu..
Ensuite, je porte un regard sur le monde qui m’entoure, comment les hommes ont-ils transformé et réduit La religion a ce que nous observons aujourd’hui. Triste constat pour moi, les hommes s’entretuent au nom de la religion, chaque division prêche pour son camp et préfère une approche sectaire, se concentre sur la forme de la pratique plus que le fond, mélange à souhait tradition, culture, religion, mimétisme..
Quelque temps plus tard, je décide d’embrasser l’Islam, non pas l’Islam qui débute avec le prophète Mohamed, l’Islam, celui que Dieu à commencé avec Abraham et qu’il a achevé avec le Coran. Je décide donc de me convertir, bien que déjà croyant, je me converti pour re-rentrer dans cette religion. Je me converti pour confirmer à Dieu que je pense avoir compris l’œuvre qu’il nous a laissé. Oui j’essayerai de respecter la loi, la pratique et les recommandations que Dieu a bâti pour les hommes et femmes les plus persévérants.
A cette époque, j’ai beaucoup de ferveur, la lumière m’habite et j’ai envie de partager, ce qui fut pour moi une découverte avec les gens qui m’entoure. Je rencontre des imams, qui sont surpris de mon approche de la religion, tous me félicitent pour ma conversion, mais leurs propos me choquent, ils me parlent du Coran certes, pas de la Bible, encore moins de la Torah, et que l’Islam ne s’arrête pas au Coran mais que la Sounah est également à prendre en compte pour être un bon musulman. Sounah ? Qu’est ce que c’est ? On me donne des recueils de hadiths, des dizaines de livres écrits par des savants, je lis, relis..
Mon désarroi est grand, j’avais découvert tant de lumière et de chaleur dans le Coran et les évangiles que je tombais de haut à la lecture de ces lignes dites « prophétiques ». Tout ce qui était clair pour moi se trouve embrouillé par ces recommandations, concepts bien éloignés de l’esprit du Livre de Dieu.
Je cherche comment cette « tradition prophétique » a pu être construite, établie pour être assimilée au Coran jusqu’à aujourd’hui. Des millions de hadiths écrits, les premiers furent écrits plusieurs siècles après la mort du Prophète Mohamed.. Une classification « sahih » pour ceux qui sont sûrs de part la chaine de transmission (5 générations tout de même !). Ce qui reviendrait aujourd’hui  à assurer au mot près une déclaration de Napoléon III par la fiabilité des personnes rapportant ces mots..Difficile d’adhérer  à ce principe. Ma stupéfaction est d’autant plus grande, lorsque je trouve un des hadiths dits « sahih » du Prophète lui-même s’adressant à ses fidèles en leur disant « n’écrivez rien de moi à l’exception du Coran ». Si l’on ne retient que celui là, comment justifier l’écriture des autres ! Ma décision est alors prise, l’Islam n’englobe pas ces écrits que je pense pervertis par les siècles, califats et pressions diverses ayant bouleversé la religion depuis des siècles. Le Coran ne nous dit il pas qu’il est complet et parfaitement détaillé de toutes choses ?
Je retourne voir des imams pour leur faire part de ma pensée, je vois bien que mes questions dérangent et qu’aucune réponse ne permet de me convaincre. Cela me rappela mes questions sur le Saint Esprit lorsque j’étais « chrétien », c’est comme ça, point.
Les imams tentent de me convaincre que sans la Sounah on ne saura pas comment prier, comment faire zakat, etc.. Mais j’ai toujours su prier, prier avec le cœur, incliné devant Dieu, me repentant de mes péchés, demandant le soutien de Dieu pour les autres, pourquoi avais je besoin de savoir ou placer mes mains, calculer combien d’inclinaisons, tous ces principes me semblent bien matériels et terrestres pour être divins ! Pour la Zakat, de quoi a-t-on besoin de plus que ce que Dieu nous a déjà expliqué dans maintes versets, paraboles, exemples de Jésus ?? Donnes ce que tu peux sans compter à celui qui en a besoin, de quoi ai-je besoin de plus ?
On m’explique que la Sounah permet d’expliquer des versets qui ne sont pas compréhensibles dans le Coran.. Mais je lis dans le Coran que Dieu à volontairement exposé des versets explicites et d’autres qui ne le sont pas pour que les hommes s’égarent en voulant y trouver un sens (Sourate3/Verset 7)..
Je suis donc profondément convaincu que le cœur de l’Islam est uniquement dans ce qu’a bâti Dieu pour nous au travers de la Torah, les évangiles et le Coran, et que rien ne peut lui être associé, et surtout pas des créations humaines même si celles-ci partent à la base d’une volonté pieuse. Les juifs ont pervertis la Torah par le Talmud, qu’ils préfèrent appliquer, les chrétiens ont pervertis le modèle de Jésus par les décisions de concile (notamment celui de Nicée en 325 apJC où l’on décida que Jésus était le fils de Dieu), et les musulmans ont perverti le Coran avec les écrits humains de la Sounah.
Telle est mon interprétation de l’Islam, à défaut de beaucoup, je ne cherche pas à imposer mon point de vue, juste à expliquer ma foi et ma croyance. Cela me vaut d’être catégoriser par bon nombre de croyants de « coraniste », d’ «apostat », mais que m’importe j’ai ma conviction forte et profonde.. Au jour du jugement, je préfèrerai dire à Dieu que j’ai essayé d’appliquer ce qu’il nous a laissé plutôt que de suivre aveuglement ce que des hommes ont pu écrire..
Voilà le récit de ma conversion et de ce anime mon cœur et mon esprit..
Et c’est ce parcours qui me fait repousser de toutes mes forces l’application de la charia comme source de loi et base de constitution, car la charia telle qu’elle est définie aujourd’hui se base essentiellement sur les hadiths prophétiques au même niveau que le Coran.
La religion, la croyance est uniquement personnelle à l’image de mon parcours spirituel, et nous ne devons ni imposer, ni juger car Dieu a toujours guidé qui il veut et au moment où il le veut...
MBI

mercredi 22 février 2012

Fuite des investisseurs étrangers



Le groupe Latécoère pense à quitter la Tunisie pour s'installer au Mexique..Ce qui entraînera également la fermeture de plusieurs sociétés sous-traitante de Latécoère. De nombreux investisseurs étrangers présents en Tunisie sont en cours de réflexion sur un départ ou une minimisation des investissements engagés..
Depuis 2011, 172 sociétés étrangères ont quitté le territoire tunisien, 12 000 emplois envolés en fumée..

Pour bien comprendre ce phénomène, il est primordial de comprendre les raisons qui incitent à investir :

1 de visibilité économique
2 de visibilité politique
3 de sécurité de ses biens
4 de stabilité sociale
5 de fiabilité des moyens logistiques
6 d'infrastructures adaptées
7 du bon fonctionnement des moyens de communication
8 d'une main d'œuvre qualifiée
9 d'incitations à l'investissement
10 d'un environnement financier stable et des taux d'intérêts maîtrisés
11 d'une stabilité de la monnaie locale

Mis à part le point 8, quelles sont les actions immédiates prises pour les autres points à part des discours d'intention et des promesses toutes aussi contradictoires les unes que les autres?!

Les investisseurs traditionnels et déjà installés sont laissés pour compte, aucune démarche, aucune enquête d'évaluation des besoins.. Avant d'aller faire des courbettes devant les qataris et les saoudiens dont les investissements ne sont que des miroirs aux alouettes non porteurs d'emplois, les entreprises étrangères notamment françaises, allemandes, italiennes ont besoin d'être rassurées quant à la protection de leur investissement et sa pérennité.. 

Pour les nouveaux investisseurs industriels (les seuls porteurs de vrais emplois de haute technicité), le climat politique et social ne permet même pas d'envisager l'option Tunisie dans les programmes. Dans de grands groupes, l'option actuelle retenue à moindre risque est le Maroc à l'image de Wolkswagen, PSA qui ont écartés définitivement leur implantation sur le sol tunisien pour rejoindre le technopole DACIA à Tanger.

L'économie tunisienne connait une hémorragie sans précédent, sans promulgation d'une loi de finances et d'incitations claire et la communication d'une vision industrielle claire dans le mois à venir, l'hémorragie ne pourra plus être jugulée laissant des milliers d'ouvriers, techniciens, cadres et managers sur le carreau. 



Liberté musellée

Triste semaine...  Nasreddine Ben Saida, journaliste tunisien emprisonné depuis 8 jours pour une photo.. Des rappeurs tunisiens arrêtés.. Une presse intimidée qui s'autocensure et qui se contente bien souvent de reporter des informations de la TAP... Selon Mourou piégé dans sa diatribe avec Ghanim, les médias sont le rempart qui résiste encore à leur plan de mise en place de la chaaria et de la pensée unique...Il est du devoir de chacun de dénoncer, de protester contre toute atteinte à la liberté d'expression, toute intimidation qui vise à réduire au silence des journalistes, chanteurs, écrivain, bloggers.. @NDCart #tunisie

mardi 21 février 2012

Tunisie en Danger !

Qui suis je?
Je suis français, vivant en Tunisie depuis 10 années, chef d'entreprise, marié, père de famille.
Pourquoi ce blog ?
Avant tout exutoire personnel de mes convictions et sentiments, mais également un espace d'échanges et de débat d'idées pour participer à la reconstruction positive de la Tunisie.
Pourquoi ce nom de blog ?
C'est une déformation volontaire de la célèbre expression "Carthago Delenda Est" (Carthage doit être détruite) prononcée par les romains furieux des échecs subis lors des guerres punique. "Non Delenda Carthago" exprime tout simplement l'inverse, Carthage ne doit pas être détruite eu égard à la période troublée que connait actuellement la Tunisie.
De quel droit parler de la Tunisie en étant français?
Pour de multiples raisons, mais notamment le fait d'y résider, le fait d'être soucieux pour l'avenir de mes enfants en Tunisie, le fait de participer à l'économie du pays en créant des emplois, le fait de payer des impôts en Tunisie, et le fait de ne pas rester passif par rapport à ce qui, à mes yeux, pousse inexorablement la Tunisie et les tunisiens vers une régression.
Comment ai je vécu la révolution ?
Comme beaucoup de tunisiens, en relayant beaucoup d'informations sur les réseaux sociaux depuis décembre 2010, en participant aux manifestations populaires de janvier, la panique suite au discours du 13 (mes amis tunisiens allaient ils marcher dans cet appel aux sentiments en ultime stratégie?) jusqu'au 14, où la peur et le courage se sont mêlés pour faire dégager la chape de plomb qui bridait les esprits et qui fermaient les bouches depuis trop longtemps. Puis comme tout le monde, une joie et un soulagement qui n'a pas pu s'exprimer du fait des derniers soubresauts du régime agonisant, les barricades des quartiers...Mais même dans ces conditions difficiles, de risques et de violence, je n'ai jamais ressenti un sentiment aussi fort de fraternité entre les gens que j'ai côtoyé. La lutte était commune, sans se parler chacun sentait qu'il oeuvrait pour le bien de la Nation.
Je fus admiratifs de la volonté et de l'exemplarité de mes salariés qui voulaient coûte que coûte reprendre le travail le plus vite possible alors que leurs salaires étaient, de toute façon garanti, dans le seul but de préserver les sociétés étrangères pour l'avenir de la Tunisie. Combien de fois, ai je entendu "on a besoin de vous pour que la Tunisie reste debout..".
Pendant cette période de Janvier, la prise de conscience était là, malgré le désordre de la situation, chacun se sentait soudainement responsable et concerné, tout le monde semblait vouloir s'auto-discipliner pour garantir un retour rapide au calme, les files d'attente étaient respectées, la conduite moins sauvage.. Une période de grâce qui m'a donné la conviction forte que le peuple tunisien serait à la hauteur de pérenniser la révolution qu'il avait su mener...
Puis il y a eu cette caravane de remerciements à Sidi Bouzid, pour saluer le courage des martyrs tombés par désespoir, cette minuscule flamme qui a propagé l'incendie.. Evènement marquant pour moi, j'ai compris le quotidien et la souffrance qui avaient poussé ces gens à tout risquer. J'ai saisi l'abandon total auquel ils étaient livrés depuis trop de temps.
Cet abandon qu'ils ont également ressenti de nouveau dès les mois de février-mars quand plus personne ne s’intéressait à eux, que les préoccupations des lendemains de révolte tournaient en boucle fermée dans un microcosme tunisois qui commençait à se partager les mérites de la révolution. J'ai vu à Kasbah 1,2,3 des gens qui voulaient avant tout qu'on ne les oublie pas (cette fois!), qu'ils avaient encore un peu d'énergie à donner pour que d'autres prennent le relais de ce qu'ils avaient initié dans le sang et les larmes..
J'ai observé la campagne de dénigrement à leur encontre, en les faisant passer pour des clochards et moins que rien, à qui on demandait de laisser place propre, en tentant de les amadouer avec un premier ministre qui n'en pouvait plus de verser des larmes de crocodiles...Des tentatives de manipulation grotesques de part et d'autres pour exploiter leurs faiblesses..
J'ai vu la Tunisie plonger alors dans des conflits d'intérêts, tiraillée par des forces obscures pour la plupart d'entre nous, allant de complots en rumeurs les plus folles. Chacun essayant de comprendre qui tirait les ficelles du grand échiquier du moment...Les cartes furent brassées mille et une fois, pour que le peuple lassé d'essayer de comprendre soit prêt à suivre le premier qui montrerait un bout de lumière au bout du tunnel. Et force est de constater que la stratégie fut payante, le peuple était prêt de nouveau à être guidé, la confusion voulue et orchestrée a donné ses fruits, chacun reprenant le cours de sa vie, essayant de ne plus refléchir, de ne plus savoir la vérité. Chaque fois que quelques esprits commençaient à émettre des hypothèses plausibles, et tentaient de remettre en place les choses, une affaire sortait du chapeau, un évènement médiatique qui détournait l'ensemble des esprits et occupaient les sujets de conversation..Nous avons eu droit aux bibliothèques remplies de billets de banque, des affaires de moeurs, et bien d'autres "affaires" sortant toutes au bon moment, pour que cela ne soit pas le seul fait du hasard. Qui fut le chef d'orchestre? Je n'en sais rien dans le détail, comme la plupart d'entre nous..
Puis l'annonce d'élections pour une constituante.. Constituante? Encore une bonne façon de troubler un peu plus les esprits les plus aguerris.. La première fois que j'en ai entendu parler, c'était lors de Kasbah 2, des personnes était venue expliquer aux "sit-ineurs" que ça serait la meilleure solution pour eux que d'établir une assemblée constituante, que c'était le seul moyen pour eux d'être représentés.. Ils ont convaincus les gens sur place de mettre cette demande en tête de leurs exigences.. J'ai encore ces photos de grands panneaux demandant la mise en place d'une assemblée constituante au pied desquelles de jeunes gens défavorisés se blottissaient sous des couvertures qu'on pouvait leur amener. Comment imaginer qu'il n'y eu, à ce moment, aucune manipulation pour orienter ces gens du sud, éloignés de toute politique depuis si longtemps, vers une démarche politique élaborée que bon nombre "d'élites" avaient bien du mal à cerner?
Dans la méconnaissance du plus grand nombre, l'idée fut retenue, des élections allaient être organisées en juillet pour élire une assemblée constituante...
Le grand mixeur de cerveaux fut à nouveau mis en route pour l'occasion, la volonté de noyer un peu plus la compréhension démarra : des partis se créaient chaque jour, les notions floues de la constituante aux contours volontairement mal dessinés, des détournements d'attention sur les ex-RCD, des ombres de l'ancien régime camouflées dans les partis.. Un brouhaha inextricable qui se créait de jour en jour, mis en place, pour perdre chaque jour un peu plus le citoyen qui ne savait pour quoi il allait voter, pour qui il allait voter.. plus d'une centaine de partis virent le jour pendant que le premier ministre se montrait rassurant, qu'il "tenait la barre" contre vents et marées pour emmener le bateau Tunisie à bon port, c'est à dire au scrutin. Les mois passèrent dans cette cacophonie, des programmes furent établis par les partis, promettant monts et merveilles sans aucun connaissance du fonctionnement d'un état, du budget de l'état et des chiffres réels du pays.. Pourquoi des programmes? N'allait on pas vers une élection pour établir une constitution? Un peu plus de flou dans le but de ces élections, auxquels chacun se raccrochait pour sortir de ce bourbier incompréhensible..
Les radios et chaines de télévision respectaient un temps minuté pour chaque parti aucours desquelles il fallait débiter le plus de promesses en un minimum de minutes..Allant du risible au navrant, la campagne électorale se transformait en une triste mascarade.. Pendant ce temps de brouillard entretenu, le parti Ennahdha est partout, des gentils adhérents parcourent les campagnes les plus isolées, s'organisent et préparent le grand jour.. le sujet de la laïcité est lancé dans ce flou artistique, la laïcité devient rapidement l'opposition à l'Islam et isole les partis qui ont "osés" s'aventurer sur ce terrain et qui essayent de ramer dans un désordre total à contre courant.
Décalage des élections, heureusement personne ne se sentait prêt ressent on dans l'opinion générale.. Des figures charismatiques n'avaient pas encore eu le temps de faire leur apparition et creuser leur place dans le paysage médiatique tunisien. Les égos sur-dimensionnés de certaines têtes de partis les empêchent de former des coalitions cohérentes et de présenter un vrai projet.. Mais un projet de quoi? de constitution? Non ! Peu de personnes s'y sont risquées.. Des programmes de gouvernance plutôt. Chacun se voyant déjà Calife à la place du Calife.
J'essayais chaque jour, de comprendre ces programmes, d'y déceler des idées intéressantes. J'ai participé à l'aventure Afkar, qui consistait à mutualiser des idées émises par de simples citoyens lambdas afin de trouver un écho auprès de candidats, futurs membres de l'AC.. L'initiative fut vaine et inexploitée, tellement noyée par le brouillard ambiant qui, une fois de plus désorientait un peu plus l'électeur chaque jour..
Elections, le grand jour ! Jour de frustration extrême pour moi, moi le français qui avait tout suivi depuis les prémices de cette révolution, qui vivait à coeur la mise en place de cette démocratie...Je n'aurais pas le doigt bleu, mais mon coeur était bleu ce jour là..
Je connaissais l'issue des urnes mais espérait au fond de moi, que cela n'arriverait pas. Pourquoi ce refus d'un parti islamique dit "modéré" à la constituante?
Avant tout parce que la religion est et doit rester une conviction personnelle, une pratique personnelle et une relation directe du créateur au croyant et n'a pas à être imposée à celui qui ne veut pas croire. Seul Dieu choisit ses suiveurs. Ensuite parce qu'aucun pays au monde n'a jamais réussi à faire cohabiter religion et politique. Et finalement, je considère qu'un parti qui a besoin de recourir à la religion pour appuyer ses idées et un parti lui-même dépourvu d'arguments. De plus concernant le cas spécifique, la Tunisie a toujours été une nation riche de sa diversité et où la cohabitation des religions n'a jamais posé le moindre problème, pourquoi vouloir interférer dans cette cohabitation jusqu'à présent sereine et fraternelle ?
Les résultats sont tombés, implacables et indiscutables, la division et la dilution des voix ont opérées. La moitié de la population n'a pas voté.. C'est le constat qui me choque le plus..Après 50 années de "non choix", 1 électeur sur 2 n'a pas eu la fierté de tremper son doigt dans l'encre pour définir l'avenir du pays...Moi, dont le doigt restait immaculé et qui aurait tout donné pour participer à cet évènement..
Quelle position depuis les élections ?
Tout d'abord une acceptation sans condition de la volonté du peuple tunisien qui a eu le courage d'apporter sa pierre. Après tout, ne pas dramatiser le tableau et donnons sa chance à ce parti qui a su faire une campagne électorale largement au dessus de tous les autres partis, qui s'est donné les moyens (ou à qui on a donné les moyens..) de parcourir villes et campagnes pour promettre... Promettre, c'est bien cela qui pose problème. Ces promesses d'emploi, d'infrastructures, etc.. devront être tenues, faute de quoi la désillusion sera grande et la colère de la duperie éclatera plus forte encore que lors de la révolution. Tel était mon point de vue au lendemain des élections..
Puis vient cette phase de silence, un silence interminable, aucun discours, aucune déclaration publique perceptible et claire..Le silence des arrangements, des tractations en coulisses managées par le grand vainqueur du scrutin.. Quelle place pour qui? en contrepartie de quoi? Après ce long silence, la Troika, une connotation soviétique dans un froid qui commence à s'installer... le peuple attend, une fois de plus..Le gouvernement est nommé, nadhaoui sans surprise..Un président qui ne rêvait que de ça, prêt à sacrifier les propres principes qu'ils énumérait quelques mois en arrière, un discours d'investiture teinté par des expressions religieuses qui surprennent.. Un président de l'AC qui n'attendait que cela également..Quels sont leurs pouvoirs réels? Des grognements de dents de leurs partisans respectifs se font entendre, ils n'ont pas été consultés dans cette alliance hors norme..
Je pense que la fondation de la maison gouvernementale est bancale, des alliances esthétiques autour d'un ensemble déterminé.
Pourquoi pas !tant que la volonté est de développer la nation et que cet assemblage d'apparence arrive à convaincre les investisseurs, les touristes, le peuple autour d'une stratégie et d'une vision claire...
Et maintenant ?
Cela fait, à présent 120 jours que les élections se sont déroulées, la stratégie et la vision claire n'ont jamais été communiquées.. Le temps précieux qui s'est dilapidé n'a été porteur d'aucune énergie capable d'emmener le peuple vers un objectif...Rien, désespérément rien.. Rien de constructif et même au contraire, une déstructuration du peuple volontaire ou involontaire mais force est de constater le résultat actuel.. Le peuple se divise, se querelle, les positions se figent et les conflits deviennent de plus en plus violent pour un peuple connu et reconnu pour son pacifisme..Ou est l'accueil légendaire du tunisien que j'ai connu.. La joie d'inviter l'étranger chez soi pour échanger nos cultures, nos richesses.. Chacun se replie, les bouches se taisent de nouveau, et parler politique se fait de nouveau à vois basse.. Le peuple s'auto-censure, on fuit les discussions sensibles, les faux semblants sont de nouveau de mise.
Des phénomènes nouveaux apparaissent, des jeunes arborant des tenues venues d'autres pays brandissent des drapeaux noirs, le drapeau rouge dont je suis si fier ne flotte plus parmi ces gens. Les pratiques se font de plus en plus ostensibles et culpabilisantes, les yeux inquisiteurs se posent sur le simple citoyen. Des actes de violence verbales et physiques sont observés et se multiplient. Le gouvernement se mue dans son silence assourdissant, quelques déclarations, puis tout son contraire le lendemain, laissant le peuple dans un désarroi le plus total.. Des prédicateurs commencent à sillonner la nation, tenant des discours haineux, incitant à encore plus de discorde que celle qui existe déjà. Les gens sont catalogués ouvertement s'ils ne suivent pas la mouvance actuelle, l'ennemi est déclaré. Gauchiste, laïc, moderniste, communistes  toutes ces dénominations sont devenues des insultes pour tenter de décridibiliser et réduire au silence tout esprit contraire. Complice, non complice, la position du gouvernement est complexe à discerner mais la lecture entre les lignes semble claire..
Après ce long massage d'introduction, ma volonté n'est qu'une et in-modifiable, être la goutte d'eau d'une grande rivière qui viendra éteindre les flammes qui sont en train d'embraser Carthage..

MBI