mardi 21 février 2012

Tunisie en Danger !

Qui suis je?
Je suis français, vivant en Tunisie depuis 10 années, chef d'entreprise, marié, père de famille.
Pourquoi ce blog ?
Avant tout exutoire personnel de mes convictions et sentiments, mais également un espace d'échanges et de débat d'idées pour participer à la reconstruction positive de la Tunisie.
Pourquoi ce nom de blog ?
C'est une déformation volontaire de la célèbre expression "Carthago Delenda Est" (Carthage doit être détruite) prononcée par les romains furieux des échecs subis lors des guerres punique. "Non Delenda Carthago" exprime tout simplement l'inverse, Carthage ne doit pas être détruite eu égard à la période troublée que connait actuellement la Tunisie.
De quel droit parler de la Tunisie en étant français?
Pour de multiples raisons, mais notamment le fait d'y résider, le fait d'être soucieux pour l'avenir de mes enfants en Tunisie, le fait de participer à l'économie du pays en créant des emplois, le fait de payer des impôts en Tunisie, et le fait de ne pas rester passif par rapport à ce qui, à mes yeux, pousse inexorablement la Tunisie et les tunisiens vers une régression.
Comment ai je vécu la révolution ?
Comme beaucoup de tunisiens, en relayant beaucoup d'informations sur les réseaux sociaux depuis décembre 2010, en participant aux manifestations populaires de janvier, la panique suite au discours du 13 (mes amis tunisiens allaient ils marcher dans cet appel aux sentiments en ultime stratégie?) jusqu'au 14, où la peur et le courage se sont mêlés pour faire dégager la chape de plomb qui bridait les esprits et qui fermaient les bouches depuis trop longtemps. Puis comme tout le monde, une joie et un soulagement qui n'a pas pu s'exprimer du fait des derniers soubresauts du régime agonisant, les barricades des quartiers...Mais même dans ces conditions difficiles, de risques et de violence, je n'ai jamais ressenti un sentiment aussi fort de fraternité entre les gens que j'ai côtoyé. La lutte était commune, sans se parler chacun sentait qu'il oeuvrait pour le bien de la Nation.
Je fus admiratifs de la volonté et de l'exemplarité de mes salariés qui voulaient coûte que coûte reprendre le travail le plus vite possible alors que leurs salaires étaient, de toute façon garanti, dans le seul but de préserver les sociétés étrangères pour l'avenir de la Tunisie. Combien de fois, ai je entendu "on a besoin de vous pour que la Tunisie reste debout..".
Pendant cette période de Janvier, la prise de conscience était là, malgré le désordre de la situation, chacun se sentait soudainement responsable et concerné, tout le monde semblait vouloir s'auto-discipliner pour garantir un retour rapide au calme, les files d'attente étaient respectées, la conduite moins sauvage.. Une période de grâce qui m'a donné la conviction forte que le peuple tunisien serait à la hauteur de pérenniser la révolution qu'il avait su mener...
Puis il y a eu cette caravane de remerciements à Sidi Bouzid, pour saluer le courage des martyrs tombés par désespoir, cette minuscule flamme qui a propagé l'incendie.. Evènement marquant pour moi, j'ai compris le quotidien et la souffrance qui avaient poussé ces gens à tout risquer. J'ai saisi l'abandon total auquel ils étaient livrés depuis trop de temps.
Cet abandon qu'ils ont également ressenti de nouveau dès les mois de février-mars quand plus personne ne s’intéressait à eux, que les préoccupations des lendemains de révolte tournaient en boucle fermée dans un microcosme tunisois qui commençait à se partager les mérites de la révolution. J'ai vu à Kasbah 1,2,3 des gens qui voulaient avant tout qu'on ne les oublie pas (cette fois!), qu'ils avaient encore un peu d'énergie à donner pour que d'autres prennent le relais de ce qu'ils avaient initié dans le sang et les larmes..
J'ai observé la campagne de dénigrement à leur encontre, en les faisant passer pour des clochards et moins que rien, à qui on demandait de laisser place propre, en tentant de les amadouer avec un premier ministre qui n'en pouvait plus de verser des larmes de crocodiles...Des tentatives de manipulation grotesques de part et d'autres pour exploiter leurs faiblesses..
J'ai vu la Tunisie plonger alors dans des conflits d'intérêts, tiraillée par des forces obscures pour la plupart d'entre nous, allant de complots en rumeurs les plus folles. Chacun essayant de comprendre qui tirait les ficelles du grand échiquier du moment...Les cartes furent brassées mille et une fois, pour que le peuple lassé d'essayer de comprendre soit prêt à suivre le premier qui montrerait un bout de lumière au bout du tunnel. Et force est de constater que la stratégie fut payante, le peuple était prêt de nouveau à être guidé, la confusion voulue et orchestrée a donné ses fruits, chacun reprenant le cours de sa vie, essayant de ne plus refléchir, de ne plus savoir la vérité. Chaque fois que quelques esprits commençaient à émettre des hypothèses plausibles, et tentaient de remettre en place les choses, une affaire sortait du chapeau, un évènement médiatique qui détournait l'ensemble des esprits et occupaient les sujets de conversation..Nous avons eu droit aux bibliothèques remplies de billets de banque, des affaires de moeurs, et bien d'autres "affaires" sortant toutes au bon moment, pour que cela ne soit pas le seul fait du hasard. Qui fut le chef d'orchestre? Je n'en sais rien dans le détail, comme la plupart d'entre nous..
Puis l'annonce d'élections pour une constituante.. Constituante? Encore une bonne façon de troubler un peu plus les esprits les plus aguerris.. La première fois que j'en ai entendu parler, c'était lors de Kasbah 2, des personnes était venue expliquer aux "sit-ineurs" que ça serait la meilleure solution pour eux que d'établir une assemblée constituante, que c'était le seul moyen pour eux d'être représentés.. Ils ont convaincus les gens sur place de mettre cette demande en tête de leurs exigences.. J'ai encore ces photos de grands panneaux demandant la mise en place d'une assemblée constituante au pied desquelles de jeunes gens défavorisés se blottissaient sous des couvertures qu'on pouvait leur amener. Comment imaginer qu'il n'y eu, à ce moment, aucune manipulation pour orienter ces gens du sud, éloignés de toute politique depuis si longtemps, vers une démarche politique élaborée que bon nombre "d'élites" avaient bien du mal à cerner?
Dans la méconnaissance du plus grand nombre, l'idée fut retenue, des élections allaient être organisées en juillet pour élire une assemblée constituante...
Le grand mixeur de cerveaux fut à nouveau mis en route pour l'occasion, la volonté de noyer un peu plus la compréhension démarra : des partis se créaient chaque jour, les notions floues de la constituante aux contours volontairement mal dessinés, des détournements d'attention sur les ex-RCD, des ombres de l'ancien régime camouflées dans les partis.. Un brouhaha inextricable qui se créait de jour en jour, mis en place, pour perdre chaque jour un peu plus le citoyen qui ne savait pour quoi il allait voter, pour qui il allait voter.. plus d'une centaine de partis virent le jour pendant que le premier ministre se montrait rassurant, qu'il "tenait la barre" contre vents et marées pour emmener le bateau Tunisie à bon port, c'est à dire au scrutin. Les mois passèrent dans cette cacophonie, des programmes furent établis par les partis, promettant monts et merveilles sans aucun connaissance du fonctionnement d'un état, du budget de l'état et des chiffres réels du pays.. Pourquoi des programmes? N'allait on pas vers une élection pour établir une constitution? Un peu plus de flou dans le but de ces élections, auxquels chacun se raccrochait pour sortir de ce bourbier incompréhensible..
Les radios et chaines de télévision respectaient un temps minuté pour chaque parti aucours desquelles il fallait débiter le plus de promesses en un minimum de minutes..Allant du risible au navrant, la campagne électorale se transformait en une triste mascarade.. Pendant ce temps de brouillard entretenu, le parti Ennahdha est partout, des gentils adhérents parcourent les campagnes les plus isolées, s'organisent et préparent le grand jour.. le sujet de la laïcité est lancé dans ce flou artistique, la laïcité devient rapidement l'opposition à l'Islam et isole les partis qui ont "osés" s'aventurer sur ce terrain et qui essayent de ramer dans un désordre total à contre courant.
Décalage des élections, heureusement personne ne se sentait prêt ressent on dans l'opinion générale.. Des figures charismatiques n'avaient pas encore eu le temps de faire leur apparition et creuser leur place dans le paysage médiatique tunisien. Les égos sur-dimensionnés de certaines têtes de partis les empêchent de former des coalitions cohérentes et de présenter un vrai projet.. Mais un projet de quoi? de constitution? Non ! Peu de personnes s'y sont risquées.. Des programmes de gouvernance plutôt. Chacun se voyant déjà Calife à la place du Calife.
J'essayais chaque jour, de comprendre ces programmes, d'y déceler des idées intéressantes. J'ai participé à l'aventure Afkar, qui consistait à mutualiser des idées émises par de simples citoyens lambdas afin de trouver un écho auprès de candidats, futurs membres de l'AC.. L'initiative fut vaine et inexploitée, tellement noyée par le brouillard ambiant qui, une fois de plus désorientait un peu plus l'électeur chaque jour..
Elections, le grand jour ! Jour de frustration extrême pour moi, moi le français qui avait tout suivi depuis les prémices de cette révolution, qui vivait à coeur la mise en place de cette démocratie...Je n'aurais pas le doigt bleu, mais mon coeur était bleu ce jour là..
Je connaissais l'issue des urnes mais espérait au fond de moi, que cela n'arriverait pas. Pourquoi ce refus d'un parti islamique dit "modéré" à la constituante?
Avant tout parce que la religion est et doit rester une conviction personnelle, une pratique personnelle et une relation directe du créateur au croyant et n'a pas à être imposée à celui qui ne veut pas croire. Seul Dieu choisit ses suiveurs. Ensuite parce qu'aucun pays au monde n'a jamais réussi à faire cohabiter religion et politique. Et finalement, je considère qu'un parti qui a besoin de recourir à la religion pour appuyer ses idées et un parti lui-même dépourvu d'arguments. De plus concernant le cas spécifique, la Tunisie a toujours été une nation riche de sa diversité et où la cohabitation des religions n'a jamais posé le moindre problème, pourquoi vouloir interférer dans cette cohabitation jusqu'à présent sereine et fraternelle ?
Les résultats sont tombés, implacables et indiscutables, la division et la dilution des voix ont opérées. La moitié de la population n'a pas voté.. C'est le constat qui me choque le plus..Après 50 années de "non choix", 1 électeur sur 2 n'a pas eu la fierté de tremper son doigt dans l'encre pour définir l'avenir du pays...Moi, dont le doigt restait immaculé et qui aurait tout donné pour participer à cet évènement..
Quelle position depuis les élections ?
Tout d'abord une acceptation sans condition de la volonté du peuple tunisien qui a eu le courage d'apporter sa pierre. Après tout, ne pas dramatiser le tableau et donnons sa chance à ce parti qui a su faire une campagne électorale largement au dessus de tous les autres partis, qui s'est donné les moyens (ou à qui on a donné les moyens..) de parcourir villes et campagnes pour promettre... Promettre, c'est bien cela qui pose problème. Ces promesses d'emploi, d'infrastructures, etc.. devront être tenues, faute de quoi la désillusion sera grande et la colère de la duperie éclatera plus forte encore que lors de la révolution. Tel était mon point de vue au lendemain des élections..
Puis vient cette phase de silence, un silence interminable, aucun discours, aucune déclaration publique perceptible et claire..Le silence des arrangements, des tractations en coulisses managées par le grand vainqueur du scrutin.. Quelle place pour qui? en contrepartie de quoi? Après ce long silence, la Troika, une connotation soviétique dans un froid qui commence à s'installer... le peuple attend, une fois de plus..Le gouvernement est nommé, nadhaoui sans surprise..Un président qui ne rêvait que de ça, prêt à sacrifier les propres principes qu'ils énumérait quelques mois en arrière, un discours d'investiture teinté par des expressions religieuses qui surprennent.. Un président de l'AC qui n'attendait que cela également..Quels sont leurs pouvoirs réels? Des grognements de dents de leurs partisans respectifs se font entendre, ils n'ont pas été consultés dans cette alliance hors norme..
Je pense que la fondation de la maison gouvernementale est bancale, des alliances esthétiques autour d'un ensemble déterminé.
Pourquoi pas !tant que la volonté est de développer la nation et que cet assemblage d'apparence arrive à convaincre les investisseurs, les touristes, le peuple autour d'une stratégie et d'une vision claire...
Et maintenant ?
Cela fait, à présent 120 jours que les élections se sont déroulées, la stratégie et la vision claire n'ont jamais été communiquées.. Le temps précieux qui s'est dilapidé n'a été porteur d'aucune énergie capable d'emmener le peuple vers un objectif...Rien, désespérément rien.. Rien de constructif et même au contraire, une déstructuration du peuple volontaire ou involontaire mais force est de constater le résultat actuel.. Le peuple se divise, se querelle, les positions se figent et les conflits deviennent de plus en plus violent pour un peuple connu et reconnu pour son pacifisme..Ou est l'accueil légendaire du tunisien que j'ai connu.. La joie d'inviter l'étranger chez soi pour échanger nos cultures, nos richesses.. Chacun se replie, les bouches se taisent de nouveau, et parler politique se fait de nouveau à vois basse.. Le peuple s'auto-censure, on fuit les discussions sensibles, les faux semblants sont de nouveau de mise.
Des phénomènes nouveaux apparaissent, des jeunes arborant des tenues venues d'autres pays brandissent des drapeaux noirs, le drapeau rouge dont je suis si fier ne flotte plus parmi ces gens. Les pratiques se font de plus en plus ostensibles et culpabilisantes, les yeux inquisiteurs se posent sur le simple citoyen. Des actes de violence verbales et physiques sont observés et se multiplient. Le gouvernement se mue dans son silence assourdissant, quelques déclarations, puis tout son contraire le lendemain, laissant le peuple dans un désarroi le plus total.. Des prédicateurs commencent à sillonner la nation, tenant des discours haineux, incitant à encore plus de discorde que celle qui existe déjà. Les gens sont catalogués ouvertement s'ils ne suivent pas la mouvance actuelle, l'ennemi est déclaré. Gauchiste, laïc, moderniste, communistes  toutes ces dénominations sont devenues des insultes pour tenter de décridibiliser et réduire au silence tout esprit contraire. Complice, non complice, la position du gouvernement est complexe à discerner mais la lecture entre les lignes semble claire..
Après ce long massage d'introduction, ma volonté n'est qu'une et in-modifiable, être la goutte d'eau d'une grande rivière qui viendra éteindre les flammes qui sont en train d'embraser Carthage..

MBI





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